Le couple créateur Neil Gaiman / Dave McKean a fait ses preuves, bien plus loin dans les terres profondes qu’il eût été possible de l’imaginer. Un raconteur d’histoire avec pour compagnon de voyage un illustrateur, tout à la fois graphiste et cinéaste.
Neil Gaiman est pour beaucoup, en premier lieu, le scénariste du Sandman (dont McKean fait les couvertures), puis le romancier qui a accouché de American Gods (Meilleur roman de Science-Fiction : prix Hugo et prix Nebula 2002 ; Meilleur roman de fantasy : prix Locus 2002 ; Meilleur roman fantastique : Bram Stoker Award 2002). Ce raccourci résume bien en effet une carrière de plus de 30 ans, si on ajoute les talents de scénariste audio-visuel de Gaiman : adaptation télévisuelle de son roman Neverwhere, et le scénario du long-métrage de McKean, Mirrormask (2005). Plus près de l’actualité cinématographique, Stardust, tourné vers le grand public.
Cet écrivain dans l’âme – compulsif pourrait-on dire – a compris que les contes, les légendes et toutes les formes de mythologie, constituaient les plus anciens discours sur le monde. Leurs cohérences spécifiques et leurs rythmes sont encore présents dans nos esprits. La trame merveilleuse du monde est toujours un substrat essentiel de nos modes de pensée.
Neil gaiman contribue à une mythologie contemporaine qui décrypte les fantasmes, les désirs et les rêves de nos individualités modernes.
Si Gaiman est l’homme des mots, Dave McKean est celui des images. Il maîtrise tous les arts graphiques et visuels. Il dessine, peint, colle, photographie, crée des images de synthèse, sait diriger une équipe de cinéma, et adore faire naître des ateliers graphiques pour mener à bien ses projets. Il multiplie les expositions, les collaborations (surtout avec Gaiman, vous l’aurez compris) qui impliquent des supports différents : de la planche de bandes dessinées au générique de feuilleton télévisé. Depuis quelques années, il s’est lancé dans le cinéma. Il affectionne les petites équipes dynamiques qui peuvent donner le meilleur d’elles-même, les budgets étant ce qu’ils sont.
Il prouve avec Mirrormask que l’on peut réaliser à la maison, entre copains à tendance “acharnés”, un film aux effets visuels hallucinants égalant sans problème les grosses productions.
Black Orchid est leur troisième collaboration dans le domaine de la BD. En 1989, leur œuvre commune est publiée sous la forme d’un magazine de seulement 3 numéros, celui-ci s’arrêtant à la fin de l’histoire. Black Orchid renaît de ses cendres en 1991 chez DC Comics. Depuis cette année, les rééditions se sont multipliées sous différents formats. Je laisse maintenant la parole à Mikal Gilmore (rédacteur chez Rolling Stone) qui a écrit une préface à l’édition que je tiens dans les mains. Gilmore présente la place de Black Orchid dans l’histoire de la BD, et en quoi elle participe de son renouvellement :
“En relisant l’œuvre maintenant [2002], il est clair que BLACK ORCHID (tout comme le DARDEVIL et DARK KNIGHT de Frank Miller ou le MIRACLEMAN, SWAMP THING et WATCHMEN d’Alan Moore) est un de ces livres qui a contribué à scinder l’histoire de la bande dessinée moderne en deux, et à manifester, au sein de son univers, l’essor d’une bravoure et d’une ambition nouvelle. Dans une certaine mesure, BLACK ORCHID tente d’aller plus loin dans cette percée collégiale en faisant constater que, si hardies, brillantes et branchées que soient les nouvelles bandes dessinées, la plupart d’entre elles finissent encore par recourir aux mêmes coutumes narratives et moralistes tant rebattues, selon lesquelles des hommes violents sauvent le monde par des options radicales et un courage brutal. Or, dans ce livre, il se produit quelque chose de différent. Ce qui fait de BLACK ORCHID un roman graphique à part. C’est une acte d’imagination et d’espoir qui veut porter une forme littéraire par trop sous-évaluée jusque dans les sphères où elle ne s’est jamais jusqu’ici aventurée.”
La marche du récit fait partie de la remise en question des conventions, donc je ne vous dirai que très peu de choses : la super héroïne est une femme-plante mauve pouvant voler. Elle meurt dès le début, tuée par de vrais méchants qui passent à l’acte plutôt que de palabrer en attendant que soit échafaudé un moyen d’évasion.
Un départ surprenant, n’est-il pas ?
Une bonne lecture.
Vous l’avez compris : vous allez en prendre plein les yeux.
Gilles ARNAUD