La présentation de l’éditeur
« Agence MP. Anglais indispensable. BP 808 Lisbonne. »
De sombres contingences familiales poussent un jeune homme d’extraction modeste à répondre à cette annonce sibylline. Au domaine du Temps, un vieux manoir reculé de la province portugaise, il planifie les interventions de Millhouse Pascal, vieillard excentrique et omnipotent. Trois enfants insolents et des visiteurs tourmentés rompent régulièrement la quiétude sépulcrale du lieu et la monotonie d’un emploi qui laisse soupçonner une activité secrète en marge de la légalité. Espions, agents doubles, bourreaux ou mercenaires, les puissants clients qui fréquentent le domaine semblent s’être trouvés à l’épicentre des convulsions du XXème siècle. A grand renfort de psychotropes et d’hallucinogènes, Millhouse Pascal les libère de leurs démons. Une belle apprentie funambule fait basculer le jeune homme de la fascination dans l’obsession. Il se jette à corps perdu dans une vie qui n’est plus la sienne, un univers parallèle où tout semble léviter en marge des lois du monde. Pour percer les zones d’ombre de cette singulière énigme familiale, il traverse un quart de siècle, de l’Alentejo à New York, dans un équilibre précaire entre passé et avenir, être et non-être, en véritable équilibriste jouant sa vie sur une corde raide.Biographie (particulièrement brève) de l’auteur
João Tordo est né à Lisbonne en 1975. Après des études de philosophie, il part étudier le journalisme et l’écriture à Londres, puis New York. Auteur de trois romans, il travaille également pour la presse et coécrit des scénarios. Le prix Saramago 2009 est venu récompenser ce chef de file de la jeune garde des lettres portugaises.
Voyages dans les mots, l’espace et le temps
L’idée qui s’impose à l’esprit après la lecture du roman de João Tordo est celle du raffinement.
Avoir du style est une chose importante si elle ne devient pas une fin en soi, c’est-à-dire seulement une manière de se distinguer, de se faire voir : un esthétisme pédant. Pratiquer le métier d’écrivain relève de la sincérité. Il n’est nulle question de bons sentiments plaqués sur une forme artistique, il s’agit bien d’art justement et donc – peut-être et à mon sens en tous les cas – d’une voie proprement humaine pour générer du sens, cette dernière notion flirtant avec une autre : la vérité.
João Tordo cultive “son” style.
Il semble sincère dans cet exercice.
Le vrai imprègne son écriture – cela ne fait aucun doute.
L’existence du personnage principal qui nous sert de guide, le narrateur, ne peut être remise en question puisque la vie lui a été insufflé avec le plus grand respect. Notre auteur se fait magicien et alchimiste mais il ne se contente pas de créer un golem malhabile, il préfère des êtres ne pouvant dissimuler longtemps aux lecteurs leur profonde humanité : grandeur, innocence, bassesse, etc.
« Dans mon cas, la littérature a toujours eu des vertus balsamiques, m’a toujours permis de m’évader lorsque j’en avais le plus besoin. Tout bien considéré, il se pourrait également qu’elle soit un outil pour transmettre la vérité, si cela s’avère nécessaire et si l’on possède le talent requis. »
Que de valeurs aux détours des pages vous attendent.
Que d’effroi aussi…
Des conséquences obligées pour celles et ceux qui font tout pour se souvenir ?
Un narrateur, donc, en prise avec le présent et des temps plus anciens.
Un narrateur, toujours, canal des résurgences existentielles et spirituelles d’un certain João Tordo ?
« Démêler ce qui correspond à la vérité de ce qui relève, inévitablement, de la fiction, en raison des limites de la mémoire, importe peu – dans le fond, la réalité est elle-même objet de fiction. Le plus important est de me libérer de mes fantômes, car je traîne un fardeau, les ombres de toutes ces choses avec lesquelles je n’eus pas le courage d’en finir. Ce qui se reflète essentiellement dans mes rêves : contrairement à ce que l’on a coutume de croire, il ne me semble pas que ceux-ci soient le miroir de nos désirs ; pour ma part, je pense que les rêves sont le miroir de ce qui nous fait horreur, de nos pires phobies, de la vie qui aurait pu être la nôtre si, à un moment ou à un autre, nous n’avions pas été d’une incommensurable lâcheté. »
Mais de quoi est-il question au juste dans Le domaine du temps ? D’un homme porteur du mystère et garant de son opacité.
« Au sujet de cet homme, l’ignorance prévaut. On ne peut guère s’en étonner : à partir d’un certain moment de sa vie, en effet, il ne fréquenta plus qu’un cercle restreint de personnalités influentes. Ceux qui ne le connurent que superficiellement et se rappellent encore son nom aurait gardé de lui une image faussée – dans la mesure où il occulta la nature véritable de son œuvre, il pourra être la victime du persiflage de ceux qui préfèrent maudire plutôt que de reconnaître leur incompréhension. »
Un mystère au substrat historique bien connu même si l’envers, le caché, l’indicible que l’on craint est encore un au-delà des apparences dont nous sommes pétris.
Bien entendu, vous ne pensez pas être de ceux qui se complaisent dans les illusions, n’est-il pas ? Êtes-vous un individu libre ? Une personne libérée ?
« On a tendance naturellement, si l’on se fie au sens commun, à considérer que l’état de veille est la condition supérieure de la conscience. Les expériences que j’ai menées m’ont montré que ce n’était pas vrai. Il existe un état intermédiaire plus puissant, qui joue avec les repères de la raison, sans la renverser, sans transformer le sujet en un banal réceptacle de perceptions.
– Quels sont ces repères ?
– L’espace et le temps. Tout ce que nous voyons et assimilons dépend de ces matrices qui, pourtant, ne sont pas absolues, n’en déplaise à certains philosophes. Le renversement de ces barrières permet d’entrevoir l’enchaînement historique des événements, passés et présents, la simultanéité de toutes les choses et, dans les cas les plus heureux, les univers parallèles dans lesquels, sans le savoir, nous sommes plongés. »
Le domaine du temps est un roman où l’esprit se meut avec agilité.
L’esprit y découvre des saveurs, des choses subtiles qu’il croyait ne pas connaitre mais qui lui laisse une étrange impression de “déjà vu”.
L’idée selon laquelle l’exploration de l’intime est une véritable possibilité : candeur ou machiavélisme ?
Il est donc question d’hallucinogènes…
Je ne peux rien dire au sujet des médecines psychédéliques. Je n’y connais rien.
Spontanément, je suis d’accord avec cette idée de l’expérience qui vous transporte hors des cadres, mais je cpnsédère par ailleurs que l’usage des drogues est le plus souvent dévoyé et grossier, une vulgaire « défonce ». Pour quelqu’un qui n’avait rien à dire, je suis plutôt négatif, non ?
Toujours est-il que je suis allé en quête de quelques illustrations psychédéliques. Voyez plutôt.
Sinon, je ne saurais trop conseiller la lecture objective de La politique de l’extase de Timothy Leary (en réalité un recueil de textes et conférences), et les Entretiens avec Albert Hofmann de Antonio Gnoli et Franco Volpi (où Albert Hofmann apparaît comme un défenseur réfléchi de l’usage de sa découverte chimique).
Bon je vous laisse continuer de mirer :
Je me permets d’inclure la peinture suivante…
Une peinture psychédélique canonisante…
Oui, bien entendu, c’est un peu facile et adulescent…
Et sinon, vous avez déjà lu le roman de João Tordo, Le bon hiver, publié en langue française en 2012 ?
Parce que pour ma part, je me le suis procuré et je vais me jeter dessus.
Une bien belle expérience de lecture que Le domaine du Temps.
à bientôt
Gilles ARNAUD